Les produits à base de plantes, souvent considérés à tort comme "médecine douce", sont parfois à l’origine d’effets indésirables graves et peuvent interférer avec de nombreux médicaments (1). Contrairement aux médicaments de synthèse, les plantes médicinales et les produits de phytothérapie contiennent de nombreux principes actifs.
Ainsi, le risque d’interactions entre les plantes et les médicaments est, en théorie, supérieur au risque d’interactions entre les médicaments. Des rapports de cas et des études cliniques ont souligné l’existence de nombreuses interactions, bien que les relations de cause à effet n’aient pas toujours été établies (2).
Mécanismes d’interactions
Le mécanisme de ces interactions peut être d’ordre pharmacocinétique ou pharmacodynamique (2).
- Interactions pharmacocinétiques
- Modification de l’absorption
Dans ce cas, nous allons obtenir soit une diminution, soit une augmentation du passage du médicament dans le sang, prenons l’exemple des laxatifs de lest, constitués par des classes de produits appartenant aux gommes, mucilages, pectines et fibres végétales (lin, guimauve, psyllium, ispaghul), ils forment des solutions colloïdales qui «piègent» les médicaments et ralentissent leur absorption comme les antidépresseurs tricycliques, le lithium, les hypocholestérolémiants, les antalgiques, les antibiotiques..
Il est donc conseillé de prendre ces laxatifs à distance des autres médicaments (plus de deux heures) (3).
- Modification de la distribution
Ce mécanisme apparait d’une grande importance pour les médicaments fortement liés aux protéines plasmatiques, avec un risque accru d’apparition d’effets indésirables (EI). Jusqu’à présent aucune interaction plante/médicament impliquant ce mécanisme n’a été rapportée dans la littérature, mais d’un point de vue théorique les substances phytochimiques peuvent interagir sur certains transporteurs (Breast Cancer Resistance Protein (BCRP), glycoprotéine P (P-gp), Multidrug Resistance Protein 1(MRP1)…) et altèrent la distribution des médicaments vers certains tissus. Le curcumin par exemple, inhibe la BCRP et favorise ainsi la pénétration de la sulfasalazine à travers la barrière hémato-encéphalique (4).
- Modification du métabolisme
Effets sur le cytochrome P450
Un grand nombre de plantes et de composants naturels isolés de plantes ont été identifiés comme étant des substrats inhibiteurs ou inducteurs de différentes isoenzymes du CYP (2).
En présence d’un inhibiteur enzymatique, la demi-vie d’élimination plasmatique des médicaments métabolisés est augmentée, ce qui va entrainer une élévation des taux plasmatiques et une augmentation de l’effet médicamenteux et de la toxicité. En présence d’un inducteur enzymatique, les médicaments métabolisés par le cytochrome P450 sont dégradés plus rapidement et voient leur concentration plasmatique baisser, leur effet thérapeutique peut donc diminuer (5).
L'exemple le plus cité dans la littérature concerne l'usage du Millepertuis dans les manifestations dépressives légères et transitoires, le Millepertuis est un puissant inducteur du cytochrome P450 3A4, responsable du métabolisme d'environ la moitié des médicaments couramment utilisés en thérapeutique, les médicaments métabolisés par cette voie seront donc plus rapidement éliminés de l'organisme.
Ainsi, une perte d'efficacité de la ciclosporine a été observée chez des patients greffés du rein et des cas de rejet de greffe de cœur et de foie ont également été décrits. Le millepertuis peut diminuer l'efficacité des contraceptifs oraux, à l'instar de la carbamazépine, un autre inducteur du cytochrome P450 3A4. Les taux d'antiviraux tels que l'indinavir peuvent être fortement abaissés (jusqu'à 60%) ce qui expose le patient à un risque d’échec thérapeutique (6).
Effets sur la glycoprotéine P (gpP)
Comme le CYP, la gpP est sensible à l’induction ou l’inhibition par les plantes ou les constituants de plantes. L’induction de l’expression de la gpP entraîne une diminution des concentrations des médicaments associés, qui sont des substrats de cette protéine ; à l’inverse, son inhibition entraîne une augmentation des concentrations de ces médicaments (2).
Dans une étude clinique sur volontaires sains il a été démontré qu’une co-administration du saquinavir (substrat de la p-gP) et de l'ail provoque une diminution des concentrations plasmatiques du médicament (7).
- Modification de l’élimination
Les extraits de plantes ayant des propriétés diurétiques (ex: genévrier, prêle, queue de cerise, pissenlit etc.) peuvent augmenter l’excrétion des médicaments, la possibilité d’une interaction plante/médicament de ce genre est rare. La revue de la littérature scientifique ne rapporte qu’une seule étude clinique démontrant que l’association du lithium à une substance diurétique entraîne un risque de diminution de son excrétion rénale et donc une augmentation de la lithémie avec des signes de surdosage (nausées, vomissements, confusion, agitation, tremblements et dysarthrie). Cette association est donc déconseillée (8).
- Interactions pharmacodynamiques
En ce qui concerne les interactions pharmacodynamiques, il peut s’agir soit d’une synergie d’action lorsqu’une plante médicinale potentialise l’action d’un médicament, soit d’un antagonisme lorsqu’une plante médicinale diminue l’efficacité d’un médicament (2).
- Synergie
Des plantes ayant des propriétés sédatives, anticoagulantes, antihypertensives… peuvent s’influencer mutuellement avec des médicaments qui seraient pris pour le même but. Le cas le plus fréquent concerne les accidents de saignement survenus chez les patients qui combinent des médicaments anticoagulants avec des plantes riches en composés coumariniques, salicylates ou ayant des propriétés antiagrégantes (9).
Dans une étude clinique sur des patients traités par warfarine (anticoagulant) et consommant différents types de suppléments naturels notamment le gingembre, il a été observé une augmentation statistiquement significative du nombre de saignements (10).
- Antagonisme
La Réglisse, dont les racines sont très utilisées pour stimuler le sevrage tabagique et en tant que laxatif, provoque une augmentation de la pression artérielle accompagnée d’une rétention hydro-sodée et d’une perte excessive du potassium. L’action pharmacodynamique de la Réglisse peut antagoniser l’effet d’un traitement antihypertenseur tel que l’Enalapril (11).
Conclusion
L'association entre préparations phytothérapeutiques et médicaments peut être responsable d'interactions médicamenteuses parfois sévères. La popularité de produit «naturels» ne devrait pas faire oublier que l'activité de leurs composants repose sur les mêmes principes pharmacocinétiques et pharmacodynamiques que les autres principes actifs (6).
Pensez à poser la question au patient pour voir s’il recoure régulièrement à la phytothérapie afin d’éviter ce type d’interactions.
Références bibliographiques :
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- Yan L et coll. "Interactions of Dietary Phytochemicals with ABC Transporters: Possible Implication for Drug Disposition and MultidrugResistance in Cancer " Drug Metab Rev 2010; 42 (4) : 590-611
- Rodet J et coll. " Structures impliquées dans les interactions pharmacocinétiques" Les interactions médicamenteuses : Guide d’information 2016 ; 2ème édition : 281-282.
- Schaad N " Interactions entre les plantes médicinales et les médicaments" Rev Med Suisse 2003; 1 : 1011
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- Shalansky S et coll. “Risk of warfarin-related bleeding events and supratherapeutic international normalized ratios associated with complementary and alternative medicine: a longitudinal analysis” Pharmacother. 2007; 27: 1237–47.
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